PRIEN CONTRE SCAPA FLOW
Texte allemand et illustrations tirés du site http://www.u-boot-archiv.de/krieg/prien_gegen_sf.html .
Traduction française de Fabula.
De nombreux anglais et aussi allemands, y compris plusieurs dans l’entourage le plus proche d’Hitler, considéraient plus l’arme U-Boot comme un jouet moderne, que comme une arme à prendre au sérieux.
Pour amener les U-Boote dans le feu de l’actualité, Karl Doenitz planifia une action particulière. Une action qui n’était pas destinée à causer forcément de graves dégâts au plan tactique, mais à faire comprendre au monde que rien n’était à l’abri de ses U-Boote.
Un jour en septembre 1939, le « Führer der U-Boote » (ndt : ci-après BdU, Befehlshaber des Unterseeboote), Karl Doenitz étudia dans son poste de commandement de Kiel, une carte marine à grande échelle. Elle montrait en bleu et blanc une série de grandes et petites îles escarpées, parfois rondes parfois allongées. Il s’agissait d’une carte des Orkneys en Grande-Bretagne du nord. Entre deux bras de terre plus grands, la mer s’élargit jusqu’à une baie : Scapa Flow.
| Scapa Flow (cliquez pour agrandir) |
Les îles Orkey parsèment le passage de l’Atlantique nord à la Mer du Nord. Depuis de nombreux siècles déjà, la Royal Navy avait choisi l’anse de Scapa Flow comme un des lieux principaux d’ancrage de ses bâtiments de guerre lourds. Depuis là, ces cuirassés et croiseurs pouvaient accéder rapidement à la Mer du Nord et au flanc allemand, mais aussi à l’Atlantique.
En automne 1939, Scapa Flow était un des plus importants points de ralliement de la flotte britannique. Si un U-Boot arrivait à s’infiltrer dans l’anse, cela pouvait conduire à un violent coup porté à la puissance britannique depuis la mer.
Karl Doenitz se souvient : « Depuis le début de la guerre, je caresse l’idée d’organiser une opération d’U-Boot contre Scapa Flow ».
La réalisation d’un projet d’attaque par un U-Boot de la flotte britannique à Scapa Flow présentait toutefois de nombreuses difficultés. Là-bas la mer elle-même constitue une ennemie pour tout attaquant, car les îles Orkey sont environnées de courants de marées extraordinairement forts. Pendant le flux et le reflux, de puissantes masses d’eau sont en mouvement.
Là où îles et chenaux canalisent le cours de l’eau, le courant devient très violent. A proximité des îles Orkey et dans le trajet jusqu’à Scapa Flow, la vitesse des courants de marées peut atteindre plus de 10 nœuds (19 km/h.).
Le puissant courant de marée de la Sonde de Kirk :
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Günther Prien |
Le 1er octobre 1939, un dimanche, Doenitz fit convoquer Prien et lui exposa les difficultés que présentait l’attaque d’un U-Boot contre la base de la flotte britannique.
« Je laissai Prien libre d’accepter ou de refuser la mission. Je ne voulais pas connaître sa décision avant l’écoulement d’un délai de 48 heures. »
Mais le Kapitänleutnant Prien n’eût besoin que de 24 heures. Le lundi 2 octobre 1939, il se présenta devant Doenitz et déclara qu’il acceptait la mission. Commodore et Commandant repoussèrent ensuite le moment de l’attaque du U-47 contre la flotte britannique à Scapa Flow. Moins de deux semaines plus tard, un concours de deux circonstances allait se réaliser, donnant des avantages à Prien. La lune nouvelle était prévue pour la période du 13 et 14 octobre 1939. Cela allait entraîner une obscurité complète, qui dissimulerait l’U-Boot pendant la partie du trajet en surface. Pendant cette nuit, même les périodes entre flux et reflux allaient être plus sombres, ce qui facilite les manœuvres dans ces passages étroits (les périodes entre flux et reflux constituent un court laps de temps, pendant lequel le courant de marée se calme).
Le 8 octobre 1939, l’U-47 largua les amarres à Kiel, prit le canal de mer nord-est, l’Elbmündung et entreprit la traversée d’environ 600 miles nautiques (environ 1’100 km) vers Scapa Flow.
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L’U-47 au départ de Kiel, en direction de Scapa Flow ; sur le pont Günther Prien |
Ce 8 octobre 1939, une partie des navires de surface allemands se dirigea aussi vers l’Angleterre. Le cuirassé « Gneisenau », le croiseur « Köln » et 9 destroyers. La flotte se dirigea au nord de la Mer du Nord.
L’entreprise de Prien et l’action du « Gneisenau » n’avaient pas de rapport. Pourtant cette opération des navires de surface allemands eut une influence sur le succès du U-47, car un avion de reconnaissance anglais découvrit la flotte allemande. En conséquence de lourds éléments de la flotte britannique mirent la vapeur pour trouver la flotte allemande, en quittant leur port d’attache de Scapa Flow.
L’anse, ou la rade de Scapa Flow fut soudainement vide. Parmi les navires britanniques qui cherchaient la flotte allemande sous le ciel gris de la Mer du Nord, il y avait le cuirassé « HMS Royal Oak », l’un des plus puissants bâtiments de la flotte britannique.
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Le cuirassé anglais « HMS Royal Oak » |
Les Anglais ne trouvèrent pas la flotte allemande en ces jours, car le « Gneisenau » et ses navires d’escorte avaient mis le cap au sud le 9 octobre 1939, et étaient de retour à Kiel le 10 octobre 1939.
Les navires britanniques reprirent aussi le chemin du retour. Toutefois, une partie seulement des gros navires revint à Scapa Flow. Parmi eux figurait aussi le « HMS Royal Oak ». Au cours de la nuit suivante déjà, la plupart des grosses unités anglaises quittèrent à nouveau Scapa flow. Le « HMS Royal Oak » resta dans la rade.
Entretemps l’U-47 arrivait à son but. Le 13 octobre 1939 il se trouvait un peu à l’est du canal jusqu’à Scapa Flow. Prien avait laissé l’U-47 se poser sur le sable fin de la Mer du Nord, qui à cet endroit avait environ 90 mètres de fond, pendant les heures de clarté de la journée. L’équipage s’endormit vraiment encore une fois. A 17 heures, les hommes d’U-47 mangèrent une soupe, des entrecôtes, pommes de terre et choux verts.
Ensuite Prien fit amener les torpilles dans leurs emplacements de chargement, derrière les tubes. Des explosifs furent fixés à plusieurs endroits du sous-marin, pour le faire couler au cas où il faudrait l’abandonner. La première phase de l’attaque d’U-47 sur Scapa Flow avait commencé. Dans son livre de bord, le Commandant écrivit : « le moral de l’équipage est excellent ».
A 19 h. 15, Prien ordonna : « faire surface ». Peu après, la silhouette sombre du sous-marin s’éleva à la surface de la mer, en gargouillant dans un bouillonnement d’écume. Une légère brise venait du nord-est. Il y avait un peu de clapot. Le moment et les conditions de l’attaque semblaient aussi favorables en pratique, que Doenitz et Prien l’avaient envisagé. Mais ils s’étaient trompés sur un point, car la nuit n’était pas du tout sombre. Au dessus de l’horizon nordique brillait un léger halo. La lumière polaire (un phénomène céleste observable uniquement dans les régions septentrionales de la terre). Prien écrivit dans son livre de bord : « Les bateaux de garde apparaissent dans le passage comme des fantômes dans des coulisses de théâtre ».
L’U-47 prit maintenant, 30 minutes avant minuit le vendredi 13 octobre 1939, la route du chenal nord vers Scapa Flow, soit la brèche que Karl Doenitz avait découverte sur les photos aériennes.
Le Kapitänleutnant Günther Prien donna les ordres de cap et de machine depuis le massif du sous-marin. Devant lui se détachait la silhouette menaçante et sombre d’un des bateaux de garde par lesquels les anglais avaient sécurisé le passage contre les intrus. L’U-47 se rapprocha de l’obstacle à haute vitesse. Le courant de marée arrivait dans la baie.
Puis soudainement, un instant pendant lequel le Commandant de l’U-47 craignit que l’entreprise échoue avant même d’avoir réellement commencé, car une lourde chaîne venant du bateau de surveillance dans le passage et allant jusqu’à son ancre, se trouvait devant. Elle réduisait la place pour l’U-47 à un minimum.
En essayant d’éviter la chaîne, tout-à-coup un dur choc, des secousses et des grincements métalliques.
L’U-47 était arrivé sur les rochers. Prien ordonna de gonfler les ballasts de plongée pleins d’eau, avec de l’air comprimé. Le sous-marin s’éleva en conséquence et devint libre, la poupe frappa contre la chaîne d’ancre du navire de surveillance.
Mais après, la proue de l’U-47 se tourna à nouveau vers l’ancien cap.
Prien se pencha vers la bouche de communication et dit, de manière à ce que chacun de ses hommes d’équipage à l’intérieur du sous-marin puisse entendre :
«
Nous sommes à Scapa Flow ! »
A une paire de miles nautiques de l’U-47 dormaient à cet instant des milliers d’hommes, sur lesquels l’épouvante allait surgir quelques minutes plus tard de la nuit sombre, avec la mort de centaines d’hommes d’équipage.
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Le chemin suivi par l’U-47 dans la baie de Scapa Flow |
Il était maintenant peu avant 12 h. 30, le 14 octobre 1939. L’U-47 entra plus profondément dans la baie de Scapa Flow. Dans le kiosque, Günther Prien et les hommes de quart-veille. Ils portaient tous des jumelles nocturnes et cherchaient les navires britanniques.
Les conditions de vue étaient parfaites ; la lumière polaire scintillait haut sur l’horizon nordique. Günther Prien écrivit dans son livre de bord : « C’est outrageusement clair. Toute la baie peut-être parfaitement contemplée ».
Sur la route du rivage, les hommes de l’U-47 purent observer plus tard un cycliste. Il ne vit pas l’U-boot allemand. Puis tout-à-coup, la silhouette d’un navire se détacha de l’ombre. C’était un des bateaux de surveillance britanniques, qui aurait dû protéger l’entrée de Scapa Flow contre une attaque de l’ennemi allemand. Les Anglais ne remarquèrent pas l’intrus allemand.
L’U-47 poursuivit à l’intérieur de la baie, aux aguets, s’attendant à être repéré à chaque instant. Les hommes de quart-veille fouillaient maintenant systématiquement la baie. Mais ils ne découvrirent pas ce qu’ils attendaient, car la baie, en tous cas en apparence, était vide.
Scapa Flow, ce port d’attache principal de la flotte britannique, semblait effectivement avoir été vidé de bateaux. Précisément la nuit où pour la première fois de l’histoire, un ennemi était parvenu à surmonter les obstacles et entrer dans cet antre de la puissance maritime britannique.
Il était maintenant peu avant 1 heure. L’U-47 explorait depuis 30 minutes les eaux de Scapa Flow. Les hommes du kiosque cherchèrent plus loin. Prien ordonna un cap amenant le sous-marin vers la côte nord. Dans les jumelles des allemands se dessinait la côte escarpée, sur laquelle la localité Saint-Mary reposait dans un grand calme.
Prien fit prendre au sous-marin un cap nord-ouest. Soudainement, d’un instant à l’autre, la lumière polaire s’éteignit. La baie se retrouva dans une obscurité profonde. Graduellement le ciel s’éclaircit à nouveau, et à cette seconde un des hommes du kiosque remarqua une masse noire, qui était encore un soupçon plus sombre que la silhouette de la côte.
L’U-47 était éloigné d’elle d’environ 4'000 mètres. Le sous-marin se rapprocha de l’ombre. Prien regarda par ses jumelles. Il put bientôt reconnaître une silhouette dans l’ombre, un cuirassé, le « HMS Royal Oak ».
L’U-47 se rapprocha plus près. Les hommes du kiosque virent alors un deuxième gros navire derrière le premier. Prien le considéra comme étant le croiseur lourd « HMS Repulse », encore plus puissant que le « HMS Royal Oak ». Ce deuxième navire fut caché en grande partie par celui au premier plan.
L’U-47 était maintenant à 3'000 mètres du navire britannique. Prien mis son sous-marin en position de tir sur le cuirassé situé au premier plan, et donna ses ordres au personnel-torpilles. Les torpilles devaient toucher le navire ennemi à 7,5 mètres de profondeur.
La baie de Scapa Flow était encore calme à cet instant.
Puis les ordres du Commandant : « Rohr eins los ! Rohr zwei los ! ».
Avec une légère secousse, les torpilles quittèrent leurs tubes. A une vitesse de 30 nœuds, elle amenaient 350 kilos d’explosifs à leur cible située à environ 3 minutes et demies de là.
Pendant que les deux premières torpilles filaient, Prien fit virer le sous-marin à tribord. Maintenant les tubes du sous-marin étaient pointés sur la proue du second navire britannique.
« Rohr drei los ! Rohr vier los ! » ordonna le Commandant. Mais seule la torpille du tube trois sortit, celle du tube quatre resta coincée.
Sur ces entrefaites l’U-47 mit le cap sur la sortie de la baie. La montre tournait. Mais il n’arriva rien. Puis tout-de-même une explosion, une gerbe d’eau, manifestement dans la proue du navire le plus éloigné, peut-être toutefois dans la chaîne d’ancre du « HMS Royal Oak ». Seule une torpille avait fonctionné, deux des torpilles étaient DUD.
La détonation secoua aussi le « HMS Royal Oak ». Le Capitaine R. F. Nichols, premier Officier du cuirassé, se souvient : « Je me rendis sur le pont, mais personne ne put me dire ce qui était arrivé. Dans la faible lumière nordique, je pouvais voir les contours des terres se découper sur le ciel et voir les hommes marchant sur le pont, mais sans pouvoir les reconnaître exactement. »
Le Capitaine Nichols retourna dans la coursive sous le pont. Là il tomba sur le Commandant du « HMS Royal Oak », le Capitaine William Gordon Benn. Le Commandant était d’avis qu’une légère explosion avait dû se produire à l’intérieur du navire, peut-être dans la câle à peintures, où avaient été stockés de la peinture à l’huile, des produits anti-rouille et des produits de nettoyage.
Le Contre-Amiral Henry Blagrove, Chef de la 2ème Flotte de guerre britannique, invité cette nuit-là à bord du « HMS Royal Oak », confirma l’opinion du Commandant.
Aucun des deux ne croyait en cet instant, à une rencontre avec une torpille.
Un marin britannique reçu l’ordre de descendre, protégé par un masque à gaz, dans la câle à peintures pour rechercher l’origine de l’explosion.
Sur d’autres navires présents dans la baie de Scapa Flow on avait aussi remarqué l’explosion, mais personne ne la mit en rapport avec l’incursion d’un U-Boot allemand.
Les destroyers et navires de surveillance restèrent à leurs places.
Prien amena sur ces entrefaites le sous-marin à effectuer une seconde approche. Les hommes aux tubes lance-torpilles. L’U-47 vira à tribord et se rapprocha à nouveau à grande vitesse du « HMS Royal Oak ».
Et à nouveau sur l’ordre du commandant : « Rohr eins los ! Rohr zwei los ! Rohr vier los ! »
Il était 1 heure 22 minutes, le 14 octobre 1939.
L’U-47 vira à nouveau. Le commandant regarda avec ses jumelles le bâtiment de guerre, qui se détachait maintenant clairement de la côte en arrière-plan.
Puis peu après, trois lourdes détonations, trois gigantesques gerbes d’eau. Une dans la proue du « HMS Royal Oak », une au milieu, une vers une tourelle.
Le tonnerre des explosions roula longuement, en étant renvoyé par les côtes de la baie. Et soudain, un épais nuage noir se mit à stationner au dessus du « HMS Royal Oak ».
Prien nota en cet instant, qu’il s’était offert : « Il roule, éclate, grince et gémit violemment. Des colonnes de feu, des éclats volent dans les airs ».
Une des torpilles avait touché une des chambres à munitions du cuirassé. En explosant, les grenades arrachaient de larges morceaux de la coque, du pont et des tourelles.
Le feu s’étendit par les conduits et ouvertures de ventilation, des flammes de plusieurs mètres de haut engloutissant les hommes qui essayaient de se sauver.
Puis le feu s’éteignit et laissa l’équipage du « HMS Royal Oak » à nouveau dans l’obscurité. Tous ceux qui vivaient encore à l’intérieur de la vaste coque du cuirassé, sentirent que le « HMS Royal Oak » allait couler.
Le premier Officier Nichols témoigna : « Toutes les lumières s’éteignirent, et le navire prit immédiatement une gîte de 35 ° tribord. Nous n’avions plus de courant électrique pour mettre à la mer les grands canots, et en raison de l’inclinaison de plus-en-plus prononcée du navire, il devint en outre de plus-en-plus difficile de manoeuvrer les petits canots dans la nuit sombre. Dans l’obscurité presque complète, le Commandant et moi avons pour secourir lancé par-dessus bord tout le matériel de sauvetage que nous avons pu trouver, à une série de membres d’équipage ».
A l’intérieur du navire torpillé, des marins luttèrent pour leur vie devant de lourdes écoutilles d’acier blindé, qui étaient manœuvrées par des moteurs et ne se laissaient maintenant plus ouvrir.
Le pont du « HMS Royal Oak » s’enfonça davantage sous la surface de l’eau. L’eau s’engouffrait maintenant dans le navire également par les hublots tribords.
Quelques hommmes parvinrent à grimper sur la coque en passant par les hublots bâbords. Ils craignaient toutefois de se jeter dans l’eau depuis là. La mer faisait maintenant, en automne, à peine 10°, et la côte était éloignée de plus d’un kilomètre.
Les hommes du « HMS Royal Oak » n’eurent pas beaucoup de temps.
Le cuirassé chavira 13 minutes après la détonation des torpilles envoyées par l’U-47.
Un des hommes qui parvint à se sauver témoigna : « Ce qui m’a le plus étonné était le violent bruit. Cela faisait comme si une grosse terrine pleine de boulons et d’écrous se renversait lentement. Les grenades chargées doivent s’être arrachées, probablement d’autres pièces aussi, de sorte qu’il ne devait plus rester d’espoir pour les hommes qui étaient encore à l’intérieur. Cela a dû être effroyable. »
Le cuirassé tourna sa quille vers le ciel et coula ensuite par le fond, qui à cet endroit faisait environ 30 mètres.
En ces minutes, 833 Officiers et Marins de la Royal Navy moururent dans leur propre port, déchirés par les explosions, brûlés par le feu, noyés à l’intérieur de la vaste coque.
Alors que le « HMS Royal Oak » se couchait sur le côté et coulait, l’U-47 faisait déjà route à pleine vitesse vers l’entrée par laquelle il était arrivé.
Mais maintenant, il semblait que le sous-marin n’allait plus pouvoir passer inaperçu. L’alarme avait été donnée, dans les navires de la baie de Scapa Flow et à terre. Partout, des lumières clignotaient pour communiquer en morse de navire à navire, et de navire à la côte. Des projecteurs fouillaient le ciel au-dessus de la baie, à la recherche d’avions allemands. Leurs faisceaux de lumière balayaient également les eaux que l’U-47 traversait. Des destroyers britanniques et des navires de surveillance larguaient leurs amarres et recherchaient l’ennemi dans la baie.
Sur ces entrefaites, l’U-47 arriva à proximité de l’entrée. Un courant de marée plus fort arriva contre lui et ralentit sa course, allant jusqu’à l’immobilisation complète. Prien nota à cet instant : « Je reste à la même place ». Le sous-marin ne put pas reprendre exactement le même chemin qu’à l’aller, car l’eau avait baissé et la marge de manœuvre entre les navires de surveillance au nord et la côte, était devenue trop étroite.
Ce fût à cet instant que la fortune de guerre sembla se retourner soudainement contre l’U-47 et son équipage. Une ombre sortie de la demi-obscurité fondit rapidement sur l’U-47. Il s’agissait d’un destroyer. Le navire de guerre britannique vint plus près et alluma un projecteur, dont le faisceau balayait l’eau sombre.
Les Allemands sur le kiosque de l’U-47 fixaient la masse grise du navire de guerre, dont les canons d’artillerie pouvaient faire feu à chaque instant.
Le destroyer éteignit son projecteur de recherche et un projecteur-morse commença à clignoter. Repéra-t’il l’U-boot ?
L’U-47 se pressa en avant. Puis le destroyer fit tout-à-coup demi-tour. Les hommes sur le massif de l’U-47 le regardèrent, jusqu’à ce que l’obscurité l’avale par-dessus la mer.
L’U-47 se trouvait maintenant dans la brèche sud entre les obstacles de l’entrée. Et une nouvelle fois, l’opération menaça d’échouer. Le mur d’une jetée surgit soudainement de la mer devant l’U-47. Avec de nombreuses manœuvres d’hélice et de gouvernail, le sous-marin arriva juste à l’éviter.
Ensuite il déboucha dans la libre Mer du Nord. Il était maintenant 2 h. 15 le 14 octobre 1939.
Le Kapitänleutnant Günther Prien avait mené à terme « l’audace des audaces en matière d’infiltration», planifiée par Karl Doenitz.
L’U-47 mis le cap au sud-est en direction de la patrie. Le Commandant put observer encore longtemps les reflets des projecteurs de Scapa Flow au nord-ouest. Des coups sourds résonnaient sur la mer. C’étaient les coups de grenades marines explosant. Les Britanniques cherchaient toujours encore l’ennemi qui leur avait causé un si grave dommage, dans leur port.
A 6 heures 30 en ce matin du 14 octobre 1939, Prien donna l’ordre de plonger. Pendant toute la journée, l’U-47 reposa au fond de la Mer du Nord. A la nuit tombée, le sous-marin reprit sa route vers le sud.
Au soir de ce 14 octobre, Prien entendit dans une émission de radio britannique, la première communication concernant son succès. L’Amirauté britannique à Londres déclarait que le cuirassé « HMS Royal Oak » avait été victime d’une action d’U-boot et avait coulé.
Il ne fut pas question dans cette émission d’un second navire que l’U-47 aurait torpillé dans la baie de Scapa Flow. Prien envoya le matin suivant un message radio au BdU Karl Doenitz : « Mission accomplie selon le plan. Royal Oak coulé. Repulse endommagé ».
Prien se trompa sur un point, car le navire ancré derrière le Royal Oak n’était pas le cuirassé « HMS Repulse », mais le « HMS Pegasus », un navire d’appoint pour hydravions. Le « HMS Repulse » était en mer cette nuit-là. Le « HMS Pegasus » ne fut pas touché par l’attaque de l’U-boot allemand. Il demeura intact (cela est la version officielle des Allemands comme des Anglais).
Le 17 octobre 1939 à11 heures du matin, environ 80 heures après le raid sur Scapa Flow, l’U-47 pénétra dans la troisième entrée du port de Wilhelmshaven. Le kiosque du sous-marin arborait un emblème étrange, de couleur blanche sur fond peint en gris, montrant un taureau en train d’attaquer.
Il avait été peint suite à un caprice du premier Officier de quart du sous-marin, l’Oberleutnant zur See Engelbert Endrass. Prien fût désormais appelé « le taureau de Scapa Flow ».
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L’U-47 arrive à Kiel, après avoir coulé le « HMS Royal Oak », et est immédiatement salué par le croiseur « Emden » |
Sur le quai de Wilhelmshaven, le Grand-Amiral Erich Raeder, Commandant en Chef de la Kriegsmarine, et Karl Doenitz, Commandant des U-boote, attendaient les hommes qui avaient réussi à attaquer les Anglais dans leur propre port.
Les deux Commandants montèrent à bord de l’U-47. Günther Prien fût distingué par la remise d’une Croix de fer première classe et chaque membre de son équipage reçu une Croix de fer deuxième classe.
Sur le pont d’acier du sous-marin victorieux, Raeder assura que le Kapitän zur See Karl Doenitz serait promu au grade de Konteradmiral (contre-amiral). Le lendemain, équipage et Commandant s’envolèrent pour Berlin. Sur les routes empruntées par les voitures contenant les sous-mariniers pour aller de l’aéroport Tempelhof à la Chancellerie du Reich, se tenaient des milliers de gens, formant des haies. Ils envoyaient des fleurs et du chocolat dans les voitures ouvertes.
A l’intérieur de la Chancellerie du Reich, Günther Prien reçut la Croix de Chevalier des mains d’Hitler. Puis l’équipage de l’U-47 pris part à un repas avec Hitler.
Prien força le respect de l’ennemi.
L’historien maritime britannique Stephen W. Roskill estima : « Cette entreprise fût soigneusement planifiée par l’Amiral Doenitz lui-même, qui connaissait exactement les points faibles des défenses. Le Kapitänleutnant Prien mérite la plus grande considération pour son courage, et l’esprit de décision avec lequel il a exécuté le plan de Doenitz. »
Le premier Ministre anglais Winston Churchill écrivit dans son oeuvre sur la seconde guerre mondiale, à propos de l’attaque de l’U-47 : « …une catastrophe, qui plaça l’Amirauté dans une position extrêmement délicate. Cet épisode, qui représente un fait d’arme remarquable du Commandant d’U-boot allemand, frappa l’opinion publique d’une émotion très vive. »
L’entreprise menée par le Kapitänleutnant Günther Prien, produisit toutefois son plus grand effet en Allemagne. Son attaque contre la flotte d’Angleterre anéantissait toute réserve (ndt : tout préjugé) contre les U-boot.
Le Grand-Amiral Erich Raeder nota le 14 octobre 1939, après avoir été informé du fait que le « HMS Royal Oak » avait été coulé :
« La perte du « HMS Royal Oak » … touche l’Angleterre en cet instant … de manière particulièrement lourde. Le succès ternit au plus haut point le prestige anglais auprès des neutres, et augmente le respect pour la force de frappe allemande. Chez le peuple allemand, il augmente la considération pour la Kriegsmarine proportionnellement aux succès de la guerre de nos U-boot contre les navires de commerce, et éveille chez les jeunes allemands la sympathie pour l’arme U-boot ».
Karl Doenitz y était parvenu : les U-boote étaient là !!!!!
Ndt : Günther Prien commanda l’U-47, un typ VII B, depuis sa mise en service le 17 décembre 1938, affecté à la 7e U-Flottille « Wegener » (basée à Kiel) en tant que Frontboot ; lorsque la meute « Wegener » devint la 3e U-Frontflottille, Günther Prien et l’U-47 furent affectés, dès le 1er janvier 1940, à la 7e U-Flottille, basée à Kiel puis à Saint-Nazaire.
Ils effectuèrent 10 patrouilles au cours desquelles 31 navires ennemis totalisant 194'103 tonnes furent coulés, et 5 navires représentant 36'656 tonnes furent endommagés (Prien ne revint qu’une seule fois au port bredouille).
Günther Prien ainsi que tous ses hommes d’équipage furent portés disparus en Atlantique nord, près de l’Irlande, position supposée 60° 00’nord-19° 00’ouest, le 7 mars 1941, sans que personne ne sache jamais ce qu’il était arrivé exactement à l’U-47.